Friday, May 11, 2007

Le Haut Karabakh




Je suis désolée mais je vais me répéter un peu...
Accompagnée d'un Allemand, d'un Américain et d'un Français, le 18 Mai, je pars pour ce pays qui est en fait plus une région disputée par ses voisins.
Un brin d'histoire pour restituer tout cela:
Pendant l'époque soviétique, ce que nous appelons en France le Haut Karabakh, était alors une région parmi tant d'autres sous la domination de Staline. Des Azéris et des Arméniens y cohabitaient en paix. Au moment de la chute du régime, qui se souciait du devenir de cette petite région? C'est ainsi que le Haut Karabakh devient une république peuplée de deux nations. Une guerre éclate presque aussitôt entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan revendiquant chacun le territoire. L'Arménie gagne. Si vous croyez que les Arméniens haïssent les Turcs, (ce qui demeure vrai pour une grande partie de la population, non éduquée, qui n'a pas compris que leur seule chance d'intégrer l'Europe et de réhausser leur niveau économique est d'ouvrir les frontières et de faire la paix...) allez donc leur demander ce qu'ils pensent des Azéris. Un Arménien à l'école, il apprend à être nationaliste, à détester les Turcs et à haïr les Azéris (qui, pour ceux que j'ai rencontrés sont encore pires que les Arméniens...). Si le peuple turc est manipulé par son gouvernement qui diffuse une propagande contre les Arméniens (qui auraient tué de nombreux Turcs) et qui pratique une censure très efficace pour ignorer le génocide, les Azéris, eux, (toujours pour ceux que j'ai rencontrés) font preuve d'un orgueil et d'un nationalisme qui font froid dans le dos. Comme les Arméniens, ils sont élevés dans la haine de l'autre mais pour l'Azerbaïdjan, il y a en plus la rancune de la défaite et le désir de vengeance. Ce qui est inquiétant, c'est que le budget militaire de l'Azerbaïdjan est supérieur au budget national de l'Arménie. Contrairement à la Turquie, un Arménien ne peut entrer en Azerbaïdjan, et vice versa...

Le périple commença donc à Goris, ville liaison du Sud de l'Arménie. Gregor décida de dormir dans les environs. Alors, je soumets l'idée de dormir dans une de ces grottes creusées par des hommes dans les montagnes, il y a très longtemps. Il a dit oui, mais il fallait monter jusqu'à un sommet. Les randonnées en Arménie ressemblent souvent à de l'escalade ou au moins à de la "grimpée" de pente à 40 pourcents voire plus... Alors, les moins sportifs (l'Américain et moi) suivons les deux tares. Heureux d'arriver au sommet, notre joie se transforme en grande déception et en flemmingite aigue à la vue d'un deuxième sommet. Mon Gregor d'1m93 ne peut être qu'enthousiaste à l'idée de ce nouveau défi... Je ne suis pas surprise, il nous a fait le même coup à Vanadzor... Nous décidons d'attendre avec Hayes et de contempler la vue depuis la hauteur d'une Tour Eiffel (nouvel unité de mesure inventée par Émilie...) Pas de bol, ils reviennent nous dire qu'on peut monter dormir, parce que "c'est plat avec deux trous"... Épuisée au sommet de cette colline, je fais mon Arménienne et j'attends qu'on me fasse du feu. Il faut savoir que les montagnes environnantes étaient couvertes de neige 100m plus haut. Alors évidemment, j'ai passé la nuit à claquer des dents mais avec pour consolation, le feu chaleureux et un des plus merveilleux ciels étoilés qu'il m'a été donné de voir dans ma vie.
Le lendemain matin, chacun sa drogue: le coca pour qui vous devinez, la bouffe pour le Français et l'Allemand et ma cigarette. Nous redescendons en disant bonjour aux vaches et nous nous galérons pour parvenir a Stepanakert, la capitale, à un prix raisonnable, bien que Hayes parle couramment l'arménien. Arrivés à destination, nous nous mettons en quête du Ed, l'Anglais Australien qui devait nous rejoindre là. Nous le trouvons par chance, tranquillement installé à la terrasse d'un café, après avoir maudit les compagnies téléphoniques arméniennes qui sont les mêmes au Karabakh mais qui ne fonctionnent pas avec nos portables arméniens... Puis nous partons à la découverte de Shoushi, ville gravée dans mon coeur. Nous y trouvons un hôtel bien mérité.
Le lendemain, nous visitons cette ville, désertée par les Azéris, dont les ruines et la couleur de la pierre laissent imaginer la beauté d'antan. La nature est luxuriante. Je me ressource. Mais les trois mosquées détruites desquelles nous avons gravi les minarets dominent la ville. Un habitant me demande d'où je viens et les larmes aux yeux, me remercie de visiter Shushi. Ça commence bien. Une femme à qui il manque un bras vient me demander de l'argent en pleurant et en m'expliquant que l'immeuble vide et macabre devant lequel nous sommes était celui où elle habitait. Un homme alcoolique, dont le visage m'était étrangement familier, vient me raconter dans un patois incompréhensible, mais les gestes et le corps sont parfois plus explicites pour exprimer la douleur, que des enfants comme moi, il en a perdus quatre qu'il dort dans la rue et qu'il ne comprend pas l'acharnement de ces hommes, là, à reconstruire la mosquée principale (destinée à un musée national). Je ne l'oublierai jamais...
Il faut savoir que Shushi était une ville majoritairement peuplée d'Azéris et qu'elle a été bombardée essentiellement par les Arméniens... Partout le bruit des bombes résonne, dans les yeux humides de ses habitants, entre les murs blancs en ruines, dans les rues presque désertes. Les Azéris survivants sont partis. Il ne reste évidemment que les Arméniens survivants, qui, à force de cohabitation, sont bilingues.
Le lendemain nous partons pour une ville totalement détruite pour finir par le joyau du Karabakh, Gandzasar, le plus beau des monastères qui a été évité par miracles par les bombardements. (Un signe de dieu vous diront les Arméniens...) Une bouffée d'oxygène dans ce pays d'après guerre où l'on se sent quand même en Arménie. Le chauffeur de taxi, après m'avoir demandé de souhaiter avoir des enfants très vite, lorsque j'allumais ma bougie, nous ramène gentiment vers l'hôtel. Sur le chemin, évidemment, ça aurait trop simple sans ça, le taxi crève. Nous décidons de nous promener jusqu'à la rivière. Ed nous fait une grosse blague: il est seul à parler russe et nous dit qu'il est écrit qu'il y a encore des mines sur ce terrain. Nous le suivons (il exploserait avant nous...). En fait il était écrit qu'il était interdit de pécher. Mais le chauffeur de taxi qui vient nous chercher nous dit gentiment, après, que le terrain n'est pas tout à fait déminé... Bon. On n'est pas très fiers de nous... Nous rentrons exténués, émus, et pour ma part, un peu remuée, du périple et rejoignons la capitale Erevan le matin suivant après une excursion au bord du canyon...

L'Arménie envahie 2







C'est Manou qui est arrivée et que j'ai aussitot abandonnée pour aller en Turquie. Quand je suis revenue, nous avons tous eu l'impression qu'elle faisait partie de cette vie arménienne. Elle est invitée pour un SVE ici-même.
La Turquie, c'était magnifique. C'était aussi très intéressant d'un point de vue formateur. Etre francaise là-bas, ça n'a pas été que simple parce que je suis responsable de tout ce que la France a fait, depuis la colonisation, jusqu'a la loi qui punit la négation du génocide arménien... Je n'avais pas le droit de parler du conflit du Karabakh devant les Azéris, ma nationalité étant ma plus grande faute... C'est tout de même incroyable que dans un projet jeunesse qui devrait accueillir des gens ouverts, je puisse ressentir une telle hostilité... Mais bon, dans l'ensemble, les Turcs et surtout les Kurdes ont été sympas et ouverts.
J'ai été sidérée par le déroulement des élections arméniennes manipulées et corrompues... Nous avons (pour combien de temps encore) la chance d'être dans une démocratie... Un programme de jeunes observateurs a été mis en place et j'avais beaucoup d'amis dedans. Je n'imaginais pas le nombre de magouilles et de techniques, plus ingénieuses les unes que les autres, qui existent... Le parti qui était au pouvoir a encore gagné...
Manou est repartie, les larmes ont encore coulé... Tu as des gros bisous de tout le monde d'ailleurs...