J'ai participé durant une semaine à un festival "dialogue de culture", projet pendant lequel nous devions présenter nos cultures.
Ce que je vais dire m'a été expliqué par l'un des trois plus grands animateurs jeunesse de l'Arménie (reconnu à un niveau international). Il m'a beaucoup aidée et je partage son avis. Je me suis rendue compte que je savais la plupart des choses qu'il m'expliquait mais qu'il m'était impossible de mettre des mots sur ce que je ressentais.
Notre culture judéo-chrétienne qui fait déjà des ravages dans nos sociétés, a des conséquences bien plus graves ici. La femme n'est reconnue qu'en tant que vierge ou en tant que mère. Marie est d'ailleurs vierge et mère pour les Catholiques... Perfection suprême.
Bien qu'il n'y ait que 20% à peu près des filles arméniennes non mariées qui soient encore vierges, elles prétendent toutes l'être. Il y a une blague assez connue ici. Quand une Américaine fait l'amour elle dit "oh yes!", une Russe, dit "oh da", et une Arménienne dit "s'il te plaît, ne le dis à personne". Quelque soit l'ouverture d'esprit de cette fille, même si elle se sent suffisamment libre ou qu'elle aime suffisamment pour s'engager dans une aventure sexuelle, elle se sentira de toute façon prostituée ou facile. Quelque soient ses convictions ou ses expériences, la pression sociale, le "sang" comme ils disent demeure et revient sans cesse.
Je connais beaucoup de jeunes femmes qui ont 25 ans et plus et qui ne sont toujours pas mariées. J'en connais beaucoup qui sont toujours vierges. Mais celles-là vivent dans une frustration permanente. Nous restons tous et toutes des êtres humains avec un sexe, des pulsions et des désirs.
Je savais déjà cela parce que je suis une fille et que je vis dans le monde féminin arménien. Il y a un monde masculin. Jamais, même une fois mariés, ces deux mondes ne se rencontrent jamais. Ils gravitent séparément sans se douter de ce qui se passe dans l'autre monde. C'est pourquoi, ce qu'il m'a dit après a même étonné mon amie arménienne.
Les garçons veulent se marier avec une fille vierge. Leur désir d'être le premier est profond. Ils acceptent cette pression sociale sur leur femmes et ont recourt à des prostitués pour assouvir leurs pulsions. Mais ici, ce n'est pas Amsterdam. C'est une mafia infernale et on peut trouver de tout: de la pouf de luxe mais aussi des femmes énormes et sales (elles vivent dans mon quartier).
Sinon, les plus raffinés "font amitié" avec des Arméniennes. C'est comme partout après. Le garçon peut attendre des années avant de recevoir la jeune fille ou même essuyer un refus. Seulement, si la jeune fille n'était pas vierge avant, pas possible de se marier, pour la plupart des Arméniens. Quelle contradiction! Si je leur ai dit que je ne sortirais jamais avec un Arménien c'est parce que je ne mériterais jamais un respect complet à cause d'un problème strictement physique: la virginité.
L'autre solution: les étrangères. Les filles russes ont la réputation d'être faciles, les Européennes un peu moins, mais elles restent plus accessibles que les Arméniennes. Voilà le préjugé. Ils savent évidemment que dans nos pays, ce n'est pas exactement comme dans le leur. Que la virginité se perd assez tôt, que personne ne s'en offense. Ils ne savent pas que nos grands-parents ont vécu cette pression sociale, ces traditions. Que ce que nous vivons aujourd'hui, nous l'avons gagné, et que c'est quelque peu nouveau. Nous ne mériterons jamais le respect dû à une femme arménienne.
La tentation est pourtant grande, lorsqu'on voit la façon dont les Arméniennes s'habillent: talons, maquillage, dos nu, jambes nues, T-shirt transparent, manucure, pédicure. TOUTES. Tentative maladroite de reproduire les modèles européens et russes qu'elles ne connaissent que par la télé. Elles cherchent leur regard, ils le leur rendent bien. En Europe, d'être regardé comme ça passe pour une insulte.
Par malheur, si un homme tombe amoureux d'une femme qui n'est plus vierge, qu'il a assez de cran pour l'épouser, il aura peur. Il aura peur que quand il se promène avec elle dans la rue, un autre arrive et lui dise qu'il était le premier. Pire, une histoire vraie: Un couple marié qui s'aime se promène dans larue. Un autre arrive et lui dit "elle suce". 3 solutions: il la quitte; il reste avec elle et quand on lui crachera dessus, il s'essuiera en disant qu'il pleut; ils partent dans un autre pays.
Cette virginité, ce fantasme masculin universel, existe partout. Ici, c'est une cause de divorce; à court terme, si la belle famille ne trouve pas de sang sur les draps des jeunes mariés (ils vérifient et font partager la découverte avec les voisins); à long terme, parce que c'est une honte insupportable pour l'homme, et surtout pour la femme. S'il sait qu'il n'est pas le premier, il ne demandera jamais à sa femme combien il y en a eus, qui c'était... C'est un tabou énorme. Refaire sa virginité et si populaire en Arménie que c'est le plus gros revenu chirurgical en Arménie. Comment voulez-vous que les Arméniens soient heureux? Ils veulent partir, mes amis ne veulent pas se marier avec des Arméniens ou des Arméniennes.
Je suis chrétienne de culture malgré moi. Je ne connais pas d’étrangère qui ne soit pas confrontée à ce problème inhérent à la société. Je comprends que l’Arménie ait survécu à ses nombreuses difficultés par la sauvegarde de ses traditions. Mais je comprends aussi que s’ils veulent s’ouvrir et continuer de subsister sainement, il faut changer les traditions. Cette société mène au pire, un système d’autocontrôle malsain et dangereux pour toute santé mentale qui se respecte.
J’aurais au mon trouvé mon combat ici…
3 comments:
Est la cause ou la conséquence?
le fond ou la forme?
je viens de lire ton mail pour ton projet perso, je m'y mets en aout :)
Bonsoir,
On a aimé votre texte sur la sexualité. On ? C'est Yevrobatsi.org,
un collectif humain qui oeuvre à la diffusion
d'informations sur l'Arménie et en particulier sur les Droits de l'Homme
, et qui porte un regard sensible sur les communautés internationales en révolte. Nous aimons défricher les points de vue et le vôtre propose un ton intéressant par votre détachement et votre curiosité empathique sur l'expression de la sexualité en Arménie.
Bon, c'est un peu pompeux mais si cela vous intéresse, on aimerait bien publier votre texte sur notre site que voici : www.yevrobatsi.org
C'est Denis Donikian, l'écrivain français d'origine arménienne qui vous a repéré. N'hésitez pas à nous raconter un peu votre parcours pour vous introduire...Je veux dire, sur la toile. ;-)
Bien cordialement,
Valérie
Bonjour,
J'ai beaucoup apprécié votre texte et sans connaître l'Arménie, je souscrits à votre analyse. C'est que les choses que vous décrivez ne sont pas arméniennes mais, je pense, elles sont au minmum méditerranéennes, voire géographiquement plus répandues, en concernant une grande partie de l'Europe et de l'Asie.
Ma culture à moi, en tous les cas, est justiciable de la même analyse, mot à mot. Je suis Maghrébin et j'ai directement vécu les choses dont vous parlez. Même conclusion, les traditions de ma culture constituent un grave obstacle contre le bonheur partagé.
Il ne faut à mon avis pas se hâter de dire que tout cela vient de la morale chrétienne. Les miens sont majoritairement musulmans, en Israel on est juif, mais le problème de la virginité, de la culture virile et de la domination masculine est sensiblement le même !
J'ai initié sur mon blog une discussion sur ce thème il y a longtemps. En fait, c'est une question qui concerne les cultures berbères du Maghreb (Les Chleuhs, les Chaouïas, les Kabyles, les Mozabites,etc.) mais aussi les cultures arabes en général.
N'hésitez pas à passer discuter quand vous avez le temps ;-)
http://anglesdevue.canalblog.com/archives/2006/12/08/3372053.html
Et merci pour ce joli post !
Naravas
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